Ce qui suit, était un cycle de vie de mes ancêtres y compris pour nos parents (encore présents grâce à dieu) cela a duré jusqu'aux années 80 environ.
Les besoins de la famille étaient de puiser des terres agricoles où le blé et l'avoine étaient toujours au rendez-vous mais pas souvent à la hauteur des espérances des semeurs et puis, la vie s'organisait ...
A part ces deux céréales, le reste de denrées devaient venir de la commune, les paysans payaient grâce à l'argent des ventes de céréales ou qu'ils échangeaient avec les Mozabites(1) qui passaient dans les Douars, contre du café, sel, sucre, melons, poivrons, bonbons ... etc
De nos jours, cela représente une part infime de la vie, mais à , c'est ainsi que nos ancêtres ont vu leurs vie défiler avec les mêmes gestes, repères, matériels ...
Tout commença l'hiver, entre novembre et janvier, où tout le monde attendait l'arrivée de la pluie pour pouvoir retourner et semer les terres. La mi-janvier étant les derniers délai que l'on s'accordait si la pluie se faisait attendre.
Cela va de soi et cela tout au long de l'année, les moments ou périodes creux sont toujours consacrés aux autres tâches pour s'occuper des bestiaux, une quinzaine de moutons, 4 à 5 biquettes et au minimum, un âne. La tâche des femmes était plus souvent de récolter les oeufs que poules et dindes pondaient. Ces volailles finissaient toujours dans les marmites mais seulement aux grandes occasions.
Arrive ensuite le printemps, la verdure (contrairement à ) luxuriante. Et là, entre mars et avril, on va traiter les plantations de céréales en faisant le G'sile(2) qui consiste à lâcher, à durées très courtes, son troupeau de mouton sur les champs pour réduire la taille de l'épi afin de pouvoir relancer la poussée du blé et de l'avoine de façon optimum.
Aux mois de juin et juillet, c'est déjà le premier prélèvement sur la récolte. Respectivement, l'avoine qu'on épluche pour la manger de suite et que l'on appelle l'Gouchire(3) et le blé qu'on prélèvera à divers endroits, le FRIK(4) (l'épi encore vert "juste avant sa récolte") pour le brûler et le débarrasser de sa cosse afin d'obtenir un grain vert plein d'amidon qu'on mange et qu'on fait sécher pour le concasser pour en faire de la "Chourbate le FRIK" (surtout pendant le mois de Ramadan)
Et voilà l'été qui arrive, l'heure de la récolte sonne en pleine période de canicule avec des températures de 40° en moyenne et cela au quotidien, pas de climatiseur, pas de frigo, l'eau est directement tirée du puit, je vous laisse imaginer les conditions de vie sans parler du travail.
Chacun ses moyens, celui qui peut s'offrir la moissonneuse-batteuse, celui qui peut s'offrir uniquement la moissonneuse (tractée par des chevaux) et le dernier choix est celui de tout récolter soi-même, huile de coude et la faucille et pour seul repas la galette et de l'eau ou du lait caillé.
La dernière méthode était pénible, il fallait la main-d'oeuvre de tous les adultes et petits de la famille. En coupant le blé ou l'avoine, on faisait des brassés qu'on appelé Gh'moure(5), mit en tas cela constitué des Ch'bouques(6) pour concentrer les points de ramassage qui s'effectuera à dos d'âne.
A la fin de la fauche, ces Ch'bouques sont bien installés par la suite sur un filet (en corde de crin) et attachés avec une corde, cela fait un tas de paille d'environ 4 mètres de longueur, 2 mètres de largeur et 1.5 mètre de hauteur, après quoi, le paquet est dressé à la verticale et l'âne est amené accolé au filet pour finir par basculer le tas et le centrer sur le dos du pauvre âne.
Par soucis d'intempéries, toute la récolte est rapidement regroupée dans un endroit nommé Gaâ(7) et on prépare les séances de dresse(8) en commençant tout le temps par l'avoine.
L'étape terminée, on commence à voir le plus gros de la saison finie. En effet, en fin d'après-midi, on attend la fraîcheur qui arrive avec le vent marin pour nous permettre de séparer (vanner) le grain de la paille avec une fourche trident en bois. Le reste des épis que l'on a pas réussit à vanner est offert aux petits qui à leur tour vont répéter les même méthodes et gestes pour obtenir du blé et de l'avoine qu'ils vendront pour se faire de l'argent de poche, à l'époque je la considérais comme une corvée sans me douter un jour que cela ferait partie du passé et que je devrais laisser une trace de cela. C'était la meilleure façon d'enseignement des coutumes et traditions pour la relève tout en garantissant la survie.
Toujours à la même période, les pauvres allaient faire leurs tournées des Douars pour récupérer le E'choure(9), une quantité de céréales que chaque récoltant devait en faire don au premier arrivant.
Après ça, arrivait le stockage qui s'opérait de diverses façons; dans des sacs, grains entassés dans un coin contre deux murs dans la chambre de z'rae (chambre spécialement réservée au stockage de céréales) ou bien enterrés dans des Matmoures(10) (le blé uniquement) pour nos consommations futures.
Ainsi était la vie, loin de toutes les civilisations, loin de la pollution, y compris médiatique, tout le destin de la famille était déjà tracé par les ancêtres qui n'ont fait que répéter les mêmes gestes et les mêmes volontés.
Il serait trop long de détailler, le plus gros reste le bon souvenir que je garde, cette nostalgie qui me rappelle mon grand-père et ma grand-mère absents et toujours présente, qui se voit envahie par l'oubli et sa valeur sous-estimée ...
K.B

(1) Mozabite: Confrérie d’origine berbère s’étant installée au sud des hauts plateaux de l’Atlas saharien dans la plaine appelée Plaine du M’ZAB et ont un sens développé du commerce .
(2) G'sile: sur la tige de la plante de la céréale, d'une hauteur d'environ 15 cm, le mouton va manger la cîme et cela redonnera de la vigueur à la plante.
(3) Gouchire: grain de l'avoine (encore vert) séparé de sa cosse avec les doigts, gorgé d'amidon c'est généralement une détente plus qu'autre chose (un vrai régal)
(4) FRIK: grain de blé gorgé d'amidon séparé de ses cosses en le passant au-dessus des flammes.
(5) Gh'moure: pluriels de G'more qui est un fardeau ou un brassé d'avoine ou de blé constitué par les semeurs lors de la fauche.
(6) Ch'bouques: pluriels de chebka, c'est un tas de G'moures.
(7) Gaâ: terrain plat qu'on prépare à l'avance, avec une chppe d'argile mélangée à la bouse de vaches, moutons .. etc et de la paille, qui sert de support pour mettre le blé et passer les chevaux ou ânes dessus pour la séparation du grain de son enveloppe.
(8) Dresse: opération de passage de chevaux ou ânes en cercle fermé en rond pour piétiner la semence afin de séparer (vanner) le grain de son enveloppe.
(9) E'choure: veut dire 1/10 de la récolte à céder aux pauvres.
(10) Matmoure: c'est une jarre creusée dans la terre de capacité diverses (10, 20, 30 quintaux
) qu'une fois remplit, elle n'est ouverte qu'au bout d'un an minimum jusqu'à 4 ans (voir plus) pour sortir le blé sous un autre aspect pour s'appeler le M'ziète (très bon d'ailleur)

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